David Janelas, photo de Flora Elie

Mémoire Cairote

L’année dernière, nous discutions sur Zoom avec le comédien David Janelas, alors en résidence artistique au Caire. Aujourd’hui, il présente les fruits de ses recherches dans nos contrées, au travers d’une exposition intitulée Le livre des rumeurs, mêlant texte, images, mouvement et son. Trois soirées aux Caves de Couvaloup invoqueront quant à elles les contes et récits égyptiens grâce à des musicien∙ne∙s, comédien∙ne∙s et d’autres invité∙e∙s surprises.

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Flashback avec l’article paru dans notre édition 91

Mai 2021:

Depuis février dernier, le comédien etierruz David Janelas est installé au Caire dans un atelier sur l’île d’El Qursayah, sur le Nil. Dans le cadre du programme de la Conférence des villes en matière culturelle (CVC), qui soutient les séjours d’artistes à l’étranger, il bénéficie d’une résidence de six mois et d’une bourse de 9’000 francs octroyée conjointement par la CVC et la Ville de Morges. Le temps a filé alors que, généreux de son expérience, il nous parlait par vidéo de la vie cairote, de ses rencontres et de ses projets

Les nuages nous cachaient une part de la lumière du jour. C’était à charge de revanche: après tout, cela fait longtemps que nous nous cachons des courants d’or du soleil.

David Janelas, Le Caire, semaine 4.

Les chroniques et la littérature

Nous avions rencontré sa plume avant d’entendre sa voix, au travers des chroniques qu’il publie sur son blog depuis son arrivée au Caire. Si la résidence à laquelle il prend part a pour but d’offrir le temps nécessaire à la création, sans pression de résultat immédiat, David Janelas a lui-même proposé à la Ville de Morges de rédiger des chroniques hebdomadaires. Celles-ci lui permettent, nous dit-il, d’avoir une discipline et de garder une trace de sa recherche. D’échanger, aussi, puisqu’il les fait volontiers lire à des amis égyptiens sur place dans le but d’obtenir des avis ou des précisions sur les sujets qu’il aborde. Ses réflexions touchent aussi bien à la culture qu’à la politique: le rapport à l’argent, la censure qui pèse sur les arts, les subventions et les visas, la surveillance militaire… et aussi, la littérature.

La littérature, qui semble tenir une place importante dans le voyage de David Janelas. On l’entrevoit non seulement par l’adresse de sa prose, mais aussi par ses citations de Rimbaud, Shakespeare, Brecht, Jules Supervielle et l’inspiration qu’il trouve chez Isabelle Eberhardt ou Charles Reznikoff. Pourtant, le comédien n’a pas eu besoin d’emmener avec lui une valise de livres, ni de puiser ses références sur internet. Presque par nécessité, la poésie s’est aménagé une place dans son imaginaire. « Dans mon parcours, j’ai fait pas mal de jobs alimentaires pénibles », confie-t-il. « Pour passer le temps ou résister mentalement, j’ai commencé à apprendre des poèmes par coeur. Les apprendre et les réciter permet de mieux les comprendre et de pouvoir les partager ».

El Warsha et les traditions orales

La Cie Cafuné, que David a fondée avec sa soeur Virginie Janelas en 2017, trouve son l’inspiration dans les enjeux liés à la mémoire et à la transmission. Un intérêt pour les traditions orales l’anime donc déjà lorsqu’il postule pour une résidence de six mois au Caire. En faisant des recherches avant son départ, il découvre par hasard qu’une compagnie de théâtre cairote a collaboré avec une troupe de Marseille au sein de laquelle il avait fait un stage. Le nom de cette compagnie égyptienne revient souvent sur le web: El Warsha… L’une des rares compagnies indépendantes en Égypte à exister depuis trente ans, connue pour son corpus très complet et sa formation de comédien∙ne∙s dans les domaines des textes anciens, des chants traditionnels, de la danse, et des arts martiaux. Il n’en faut pas plus à David pour prendre contact. On le dirige tout de suite vers le directeur de la troupe, Hassan El Geretly, qui lui propose de se rencontrer à son arrivée en février. Les deux hommes de théâtre conviennent d’abord de se voir chaque semaine… …Quatre mois plus tard, David est presque devenu un membre de la compagnie!

À l’heure où il nous parle, le comédien revient justement d’un stage de quelques jours avec El Warsha en Moyenne-Égypte, au centre Medhat Fawzy, où l’on pratique l’art du bâton (tahtib). L’école est, à l’heure actuelle, la seule à enseigner cette pratique ancestrale. Il y a plusieurs années, Hassan El Geretly avait voulu que l’un de ses comédiens apprenne le tahtib pour les besoins d’une pièce. Or, l’art se transmet par tradition de père en fils, et il était très difficile de trouver quelqu’un qui acceptait de l’enseigner en dehors du cercle familial. Un danseur avait toutefois accepté, et une collaboration était née, donnant l’impulsion pour fonder cette école.

Samar Hussein de la compagnie El Warsha lors d'une représentation. Photo: Flora Elie

Samar Hussein de la compagnie El Warsha lors d’une représentation. Photo: Flora Elie

C’est la deuxième fois que David se rendait à Medhat Fawzy, et la troupe lui a proposé de donner un stage autour de sa pratique du théâtre. « C’est une troupe d’homme dans laquelle il y a une ambiance un peu équipe de foot », relate David en souriant. « J’ai vu qu’ils avaient énormément d’énergie, qu’à chaque fois que je proposais un exercice, ils le faisaient de manière très agressive. J’ai pris le contrepied et leur ai proposé de travailler la connexion à leur imaginaire, d’explorer une zone sensible liée à leur histoire. Ça a demandé du travail de créer une atmosphère où ils ont osé se sentir vulnérables ».

En parallèle aux multiples apprentissages vécus aux côtés d’El Warsha, David Janelas s’est donné une mission: celle de récolter des récits. « Au début, je pensais me focaliser sur les contes traditionnels, mais assez vite, j’ai eu envie d’écouter ce que les gens avaient envie de proposer d’eux-mêmes. Les personnes âgées ont toujours des histoires à raconter, mais les jeunes ont perdu ce rapport aux contes, ou préfèrent parler de leur pays tel qu’ils le voient aujourd’hui ». Pour rassembler ces récits, David discute avec ses interlocuteur∙trice∙s plusieurs heures, en anglais, pour comprendre les enjeux et ensuite choisir ensemble ce qui sera filmé, en arabe. À ce jour, le comédien compte une quinzaine d’heure de récits, et la liste des personnes à rencontrer s’allonge! « Le défi sera de sous-titrer toutes ces vidéos », s’amuse-t-il.

Tableau quotidien, La Caire. Photo: Flora Elie

Tableau quotidien, Le Caire. Photo: Flora Elie

Un an plus tard, le comédien a sous-titré, trié, repensé son voyage, a donné à tous ces mots, ces images et ces sons la forme d’une exposition et de trois soirées d’arts vivants.

Il les présentera personnellement au public dans les semaines à venir!

Le livre des rumeurs
Exposition: du 30 mai au 13 juin 2022
Espace 81
Vernissage: le 2 juin à 17h 
Cellier de l’Hôtel-de-Ville, Morges
morges.ch

Celui qui se tait, plus grande est sa douleur
Vendredi 10 juin à 20h
Samedi 11 juin à 20h
Dimanche 12 juin à 18h
Les Caves de Couvaloup
morges.ch

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