Une minute, une heure, qu’est-ce que c’est? C’était le temps, samedi dernier sur la scène du Reflet – Théâtre de Vevey, de raconter une histoire, celle de l’amour impossible de deux adolescents, Wolfango et Marguerite. Wolfango, devenu des années plus tard un étudiant sans âge halluciné. Marguerite, emportée si jeune par la maladie, qui revient à lui sous la forme d’une ombre pour lui faire raconter cet amour et en faire le deuil.
Texte de Katia Meylan
Propos recueillis lors de la rencontre publique avant la pièce, avec Luc Birraux, metteur en scène. Rencontre menée par Brigitte Romanens-Deville, directrice du Reflet
“L’Ombra n’avait jamais été mise en scène, mon travail a donc simplement été de raconter cette histoire”, pose modestement le metteur en scène Luc Birraux.
S’il est des opéras pour lesquels on compte des centaines – si ce n’est des milliers – d’interprétations scéniques différentes, il existe aussi des œuvres encore inconnues même des mélomanes. C’est le cas de L’Ombra, une œuvre du compositeur Ugo Bottacchiari, écrite dans la tradition des grands mélodistes italiens au 20e siècle, tombée dans l’oubli et aujourd’hui portée à la scène par la toute jeune compagnie Operatic. Le “tuyau” était venu de la professeure de chant de Louis Zaitoun, ténor passionné qui a désormais pu ajouter le rôle de Wolfango à son répertoire.
L’histoire a commencé comme une quête: Quelque part, dans le petit village de Castelraimondo en Italie, se trouve un manuscrit dont il n’existe qu’un seul enregistrement, et que personne n’a jamais encore mis en scène…
Une fois la photographie de la partition en poche et de retour de voyage, la compagnie découvre une œuvre à la forme inhabituelle: tandis qu’à l’époque d’Ugo Bottacchiari, la tendance était plutôt de faire se dérouler un maximum d’actions dans des lieux exotiques et de déployer sur scène des décors fastes et une troupe nombreuse, le compositeur, alors encore étudiant, signait un opéra de chambre en un acte, en huis clos, pour deux solistes et un chœur de quatre femmes.
Luc Birraux et le chef d’orchestre Antoine Rebstein, cofondateurs de la Cie Operatic, imaginent pour cette pièce un accompagnement mobile, adaptable à différents lieux. Ils commandent au Lausannois Kevin Juillerat une réduction d’orchestre, interprétée par douze instrumentistes de la Camerata Ataremac. Quant au livret existant, assez succinct, il est étoffé par la librettiste Sabryna Pierre et livre la raison de cet amour impossible.
Photos de Lauren Pasche.
La mise en scène moderne et captivante de Luc Birraux souligne la dimension actuelle de l’opéra de Bottacchiari. Ses choix rendent L’Ombra à la fois accessible et foisonnante d’éléments sur lesquels s’arrêter. Le contact n’effraie pas ses chanteur-euse-s; ainsi, un ceinturage musclé des infirmières ou un baiser passionné des amants chevillent au corps les sentiments distillés par la musique. Louis Zaitoun impressionne tant par son timbre clair que par l’aisance de ses mouvements et la sincérité de ses expressions, graves et comiques. Car oui, on trouve aussi quelques traits d’humour dans cette mise en scène au sujet dramatique: la scène où Wolfango est mené à raconter son histoire au micro devant un public grignotant du pop-corn pourrait sembler cynique; elle nous est au contraire apparue touchante et prêtait à sourire, précisément grâce à l’expressivité du ténor et aux attitudes des choristes et des deux danseuses.
L’Ombra est ainsi à la fois une découverte pour les mélomanes et une porte d’entrée dans le monde lyrique pour les non-initiés, de par sa courte durée d’une heure, sa modernité et par la beauté de ses mélodies.
Une représentation reste à venir:
L’Ombra
Samedi 12 mars 2022 à 20h
Théâtre Bicubic, Romont
operatic.ch