if...une odyssée verte

If… Une Odyssée Verte – Avec des arbres on refait le monde

La tournée romande de If… une Odyssée verte s’est terminée hier à Fribourg, sous le chapiteau des arTpenteurs établi pour l’occasion dans le jardin de l’Espace Nuithonie. Par son théâtre dans lequel se mêlent organiquement danse, musique et chant, la troupe nous parle d’héroïsme, de liens, de passé, de présent et du futur de la planète.

Texte de Katia Meylan
Photos: Félix Imhof

Lorsque l’on entre sous un chapiteau tout entouré de roulottes… on a envie de se faire raconter des histoires. On a les yeux écarquillés, les oreilles grandes ouvertes, on s’attend à croiser des regards, des chemins, des esprits qui ont voyagé loin. Et en effet, les artistes qui habitent ce beau lieu ont bien bourlingué. Depuis vingt ans, le théâtre itinérant des arTpenteurs partage ses créations au-delà de sa terre natale d’Yverdon-les-Bains. Pour sa trilogie consacrée à Homère, dont If… une Odyssée verte est le dernier volet, la compagnie a traversé l’Adriatique à la rencontre de publics et d’artistes de Grèce et de Bulgarie. Après Odysseus Fantasy (2018), voyage tout en songeries sur le thème de l’exil, et Odysséia (2019) qui se penchait sur l’hospitalité et l’hostilité, If… une Odyssée verte se préoccupe d’écologie en s’inspirant du passage d’Ulysse aux enfers, de façon un brin futuriste.

Le public est accueilli sur une musique électro par des personnages affublés de casques de silent party, réunis pour l’anniversaire de Télémaque. L’esprit peu à la fête, l’intéressée, inquiète, cherche à comprendre. Pourquoi son père a-t-il fait abattre l’if dans la cour? Pourquoi les membres de sa famille n’arrivent-ils pas à communiquer, pourquoi les liens semblent-ils coupés? Pourquoi manque-t-elle d’air? Quel est cet arbre dont elle rêve?
Son père arrive et chasse les fêtards. Il est le personnage pressé, agacé, qui a oublié l’anniversaire de sa fille, qui a autre chose à faire que se soucier d’un arbre coupé. Il parle fort, il se saoule. Il délaisse sa femme, Pénélope, passionnée de mathématiques. Est-il le méchant du conte? Non, il doit en être le héros, puisqu’il est Ulysse. Qui est cet Ulysse? Un homme de notre époque, engoncé dans les habitudes de sa vie confortable et qui ne comprend plus sa famille, qui aimerait jouir de la vie avant d’être vieux. Mais il est aussi le héros grec qui a voyagé et combattu victorieux, puisqu’il se souvient encore de cette vie-là, comme si son âme avait traversé les siècles… Ce personnage, le public veut le voir changer; il faut qu’il se réveille, qu’il écoute sa fille qui tire la sonnette d’alarme. Les dieux – qui n’ont pas été oubliés dans cette adaptation de l’Odyssée – veulent eux-aussi le voir changer… un peu de divertissement, que diable!

les arTpenteurs

Photo: Félix Imhof

De leurs hauteurs invisibles, ces derniers envoient alors sur terre leurs sirènes gesticulantes et hypnotiques, dont le langage saccadé est entremêlé de termes marketing, et les laissent planifier pour Ulysse un voyage dans les endroits les plus “hot” de la planète, tout au long duquel il devra se faire remarquer sur les réseaux sociaux. Arrivé dans l’espace, en plein doute, Ulysse, seul, observe la planète Terre à feu et à sang. Il veut alors redescendre, retrouver sa fille, prévenir la société.

Tout file dans ce texte de Domenico Carli, publié aux Editions d’En-bas et commandé spécialement par les arTpenteurs. Il faut dire que l’Odyssée est un sacré morceau à adapter, raison pour laquelle celui qui en 2014 s’était déjà attaqué à l’Iliade pour le metteur en scène Michel Voita, a choisi de se concentrer sur l’épisode de la descente aux enfers. “Me replonger dans L’Iliade et L’Odyssée a changé ma vie”, nous confie-t-il, alors que nous le croisions vendredi dernier à l’issue du spectacle. De la même manière qu’il a dû régulièrement le faire lors de représentations scolaires qui ont jalonnée l’année 2020, Domenico Carli nous partage son admiration pour Homère, heureux si sa pièce donne envie de retourner aux sources.

Dans ces scènes qui s’alternent rapidement, la mise en scène de Chantal Bianchi, co-fondatrice de la troupe, donne de nombreuses choses à voir, à entendre et à interpréter. Les rencontres, décisives dans l’action des personnages, sont évoquées en mouvement, en musique et en quelques paroles énigmatiques. Le superbe costume de l’arbre dont rêve Télémaque n’apparaît que quelques instants, qui nous laissent toutefois témoigner de l’étendue de la tessiture du comédien – et deuxième co-fondateur de la troupe – Thierry Crozat. Les artistes, dans la moiteur de ce mois de mai, changent de costumes, montent le long des poutres en bois, dansent, courent et sautent, accompagnés tantôt par une bande-son, tantôt par une pianiste et une violoncelliste en live.

if...une odyssée verte

Photo: Félix Imhof

Toutes et tous sont superbement justes dans leurs interprétations; les sirènes, à la fois drôles et effrayantes dans leur soumission au pouvoir, croisent leurs regards surnaturels avec ceux du public, tout proche. Mathilde Soutter, qui interprète Télémaque, fait preuve de coffre et de sensibilité, emplissant l’espace d’une énergie particulière – en plus de jouer du violon!

Le chapiteau, plus perméable aux éléments extérieurs qu’une scène de théâtre, a même permis certains moment de grâce inattendus, comme lorsque le vent a accompagné la dernière traversée de scène de Pénélope, dans un port d’héroïne, en venant soulever ses cheveux…

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Pour en savoir plus sur les volets 1 et 2 de la trilogie, où comment les arTpenteurs ont voyagé à travers l’Europe: l’article d’Aurélia Babey dans L’Agenda 80 

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Les arTpenteurs ont plusieurs actualités dans la région cet été, retrouvez leur programme sur www.lesartpenteurs.ch