Ici, le lac ressemble à la mer
Le projet un peu fou d’exposer des chansons est né de la complicité entre le chanteur Marc Aymon et Lionel Gauthier, conservateur du Musée du Léman. L’institution nyonnaise propose actuellement au public de découvrir ou redécouvrir les chansons qui rendent hommage au lac.
Texte et propos recueillis par Sarah Liman Moeri
Photos: Nicolas Lieber
La genèse de l’exposition
Tout est parti du projet du chanteur Marc Aymon : Glaneurs. En 2019, ce dernier a lancé un appel à la population dans la presse, afin de récolter des documents en lien avec le patrimoine musical romand: vieux carnets de chant, partitions, enregistrements et autres. Il en a réuni plusieurs centaines. Marc Aymon et Xavier Michel (du groupe Aliose) ont découvert ces trésors et choisi une quinzaine de chants et de poèmes, qu’ils ont enregistrés sur un disque, avec divers artistes suisses.
Parmi les textes découverts, il y avait Le Vieux Léman, un texte d’Eugène Rambert datant de 1881, mis en musique par l’Abbé Bovet (auteur du Vieux Chalet). Marc Aymon a fait écouter l’enregistrement à Lionel Gauthier, qui a été agréablement surpris. Car même si les paroles de la chanson semblaient un peu désuètes, elle aurait pu être écrite aujourd’hui. Le chanteur lui a alors demandé: « Est-ce que tu veux accrocher des chansons aux murs de ton musée? ».
Cette idée a titillé le conservateur, lui-même passionné de musique, musicien et auteur d’une centaine de chansons. Il était également intéressé par le défi muséographique… Comment « accrocher » des choses qui ne se voient pas?
Les défis
En plus du défi scénographique, il a fallu trouver les chansons qui évoquent le lac Léman (véritable source d’inspiration pour les peintres, les poètes, les écrivains et les paroliers), puis en obtenir les droits de réadaptation.
La recherche des chansons
Marc Aymon s’est employé à contacter ses ami∙e∙s artistes pour savoir s’ils avaient composé des titres sur le Léman. Aliose avait déjà écrit Droit devant et François Vé a créé Vigne spécialement pour l’exposition.
Lionel Gauthier a, quant à lui, consulté les archives : des livrets de chants ou des recueils de partitions, conservés dans les collections du musée ou dans d’autres institutions, comme la BCU à Lausanne, mais également les bases de données de la SUISA et de la Sacem.
Cinquante-six chansons ont été répertoriées et depuis l’exposition, une dizaine d’autres ont été retrouvées.
Le choix des chansons
En fouillant dans un cahier de textes, Lionel Gauthier a repéré une chanson parlant du Léman: Gentille Batelière. Le titre et les premiers mots ne lui disaient rien, mais en lisant plus avant, il s’est rendu compte qu’il connaissait cette chanson par cœur, car sa grand-mère la chantait. Elle a donc tout naturellement trouvé sa place dans l’exposition, en hommage à celle-ci.
L’idée était d’avoir un panel de titres panaché, des chansons anciennes et des plus modernes, des chansons oubliées et des plus connues, comme Genève de William Sheller, pour que le∙la visiteur∙euse puisse se rattacher à quelque chose qui lui est familier. Le duo souhaitait aussi avoir des sujets différents dans la musique et dans le texte, mais en même temps avec une certaine homogénéité. Des morceaux plutôt acoustiques. Smoke on the Water de Deep Purple ou Bienvenu chez moi de Bigflo & Oli n’auraient pas trouvé leur place dans l’espace d’exposition, car leurs styles musicaux sont très différents des autres. En revanche, elles font partie de la playlist consultable dans l’audioguide, qui nous accompagne le long du voyage musical.
Le titre
« Ici, le lac ressemble à la mer » sont les premières paroles de la chanson de Marc Aymon À Saint-Saph’. Il a vécu deux mois dans le village de Saint-Saphorin, qu’il considère comme le plus beau du monde, en pensant que la beauté des lieux allait lui inspirer quantité de lignes. Mais rien n’est venu. Il en est reparti dépité. Quelques jours plus tard, un ami lui a envoyé un message: « Je passe en train à Saint-Saph’. Ici, le lac ressemble à la mer. » Cette phrase lui a provoqué un déclic et le texte de la chanson est arrivé tout seul. Il était donc évident pour lui qu’elle devienne le titre de l’exposition.
La scénographie
L’idée étant de proposer au public une expérience multisensorielle, on a choisi de lui offrir des chansons à écouter, des visuels à regarder et des objets à toucher.
Chaque titre a son espace réservé, une petite alcôve avec sa couleur et son ambiance, correspondant au thème qu’elle évoque. L’équipe du musée a chiné pendant des mois pour trouver le mobilier et les accessoires qui allaient les mettre en scène.
Les onze airs « exposés » ont été illustrés par Cyrille Chatelain, conservateur du Jardin botanique de Genève et artiste. Ces illustrations sont riches en couleurs et en détails, souvent les paroles sont inclues dans la composition. Les formats des représentations sont très variés. Certaines ont été reproduites et recouvrent toute la hauteur d’un mur et d’autres sont si petites qu’il faut s’approcher pour en apercevoir les minuscules détails.
Par ailleurs, un album a été créé pour neuf des chants. Chacun est une pièce unique, avec son atmosphère particulière. Ils ont été réalisés par la maison d’édition nyonnaise Ripopée. Comme dans un ancien album de photographies, une écriture manuscrite nous raconte l’histoire de la chanson, de l’artiste et le thème évoqué. Des illustrations accompagnent, parfois, quelques-unes des paroles. Chacun∙e peut prendre le temps de consulter l’album, confortablement assis, pendant l’écoute d’un morceau.
Dans l’exposition, on retrouve Droit devant d’Aliose et Vigne de François Vé. Les neuf autres font partie du répertoire suisse ou français et ont été spécialement réenregistrées par des artistes locaux∙ales, attaché∙e∙s au Léman, dans l’optique que le public puisse redécouvrir des titres qu’il connaît parfois, tout en lui proposant l’expérience d’une première écoute. La volonté était également d’avoir une certaine harmonie acoustique. En plus des artistes précité∙e∙s, Michel Bühler (décédé quelques jours après le vernissage), Milla et Jérémie Kisling ont prêté leurs voix à ces airs célébrant le Léman.
Pour prolonger l’expérience
Grâce au catalogue, l’expérience musicale se prolonge, puisque des QR codes donnent accès aux enregistrements. Les paroles sous les yeux, le∙la lecteur∙ice peut chanter sur les airs découverts au musée. L’histoire des chansons, des anecdotes et un répertoire de trente-cinq autres titres sont proposés dans l’ouvrage.
L’équipe de médiation a eu l’idée de l’activité Singin’ the Lake, une chorale éphémère. Petit∙e∙s et grand∙e∙s amateur∙ice∙s de chant peuvent participer.
Le Bec dans l’eau sera le chant proposé à la rentrée, lors de la dernière date de l’événement. Divisé∙e∙s en deux voix, les choristes répéteront avec les chefs de chœur avant de se produire dans la salle d’exposition. Rendez-vous le samedi 10 septembre à 15h pour rejoindre ou écouter la chorale éphémère.
Ici, le lac ressemble à la mer. Chansons pour le Léman
Jusqu’au 18 février 2024
Musée du Léman, Nyon
Ici, le lac ressemble à la mer