À l’issue de la répétition générale de sa mise en scène d’Elektra, c’est un Alexandre Païta fatigué mais l’air confiant qui a pris congé de nous aux portes du Théâtre des Grottes. Dans nos têtes, réminiscences de la pièce, quelques images teintées de rouge laissent l’empreinte d’une ombre.
Texte et propos recueillis par Katia Meylan
Dans le noir et baigné de rouge, le roi Agamemnon, visage casqué, nous apparait pour narrer les détails de son assassinat par son épouse et l’amant de celle-ci. À terre, sa fille Électre se répète ces mêmes mots, ces horribles gestes, litanie qu’elle a dû rejouer dans son esprit sans relâche depuis des années. Obsession, haine, solitude, hystérie sont les états qu’elle traverse dans son envie de vengeance. Seul l’anime le désir de faire payer aux coupables leur crime. Pour cela, elle compte sur l’aide de sa sœur Chrysothémis, enfermée avec elle, ou de son frère Oreste, chassé enfant de la demeure royale, qu’elle espère voir revenir.
Inspirée de la tragédie grecque de Sophocle, la pièce ne nous fait à aucun moment espérer un soulagement.
Ce n’est pas le point culminant dont rêve Électre qui frappe le public. Ce coup, lui, nous laisse de marbre: un homme frappe, l’autre tombe mollement engoncé dans des tissus. Mais après tous ces jeux de pouvoir, ces peurs cachées ou révélées, pouvait-on en sortir indemne? Une autre résolution, plus terrible peut-être que le meurtre, nous fige.
Ce sont sans lumière d’un doute les femmes qui sont les flammes, les cendres et les ombres de la pièce. Dans le trio mère-soeurs se mêlent les passions et s’expriment les troubles de l’âme humaine. “À qui profite un tel tourment?” demande la douce Chrysothémis, frêle lueur essayant de ne pas se laisser éteindre. Les deux sœurs foulent la terre qui couvre le sol de la scène, l’empoignent ou s’y couchent, comme pour trouver un point d’ancrage à leurs sentiments. Plus les sœurs se parlent et se touchent, plus leurs esprits s’éloignent dans les désirs diamétralement différents qui les animent. L’envie d’oublier, de fuir et vivre enfin n’atteint pas Électre, qui creuse son désespoir.

Alexandre Païta et Morgane Lerena Lopez. Photo: David Jimenez
Assis dans le public, que faire de ces passions mythiques qu’on juge presque trop hystériques?
Ce ne sont pas les mythes qui intéressent Alexandre Païta, mais ce qui le touche dans la poésie des auteurs qui les ont retranscrits. Après Shakespeare, Tchekhov, Anouilh ou encore Lorca, c’est les mots du dramaturge allemand Hugo von Hofmannsthal que le metteur en scène, qu’aucune intensité n’effraie, travaille ici comme un dentellier – selon son image – avec ses comédien·ne·s. En particulier avec Morgane Lerena Lopez, qui tient le rôle d’Electre et qui, dans sa voix, dans ses yeux, dans ses mains, dans sa manière animale de se mouvoir, transmet tout le désespoir d’une âme.
La question reste, que faire de cette noirceur? Simplement la vivre, comme un moment parmi nos tranches de vie, nous suggère Alexandre Païta de sa voix qui vient des tripes. On peut tourner la page, nous répond-il, l’important est de l’avoir vécu. De l’avoir vécu, transcendé par la scène.
Elektra
Du 26 mars au 3 avril 2022
Théâtre des Grottes, Genève
compagniealexandrepaita.ch
Photo d’en-tête: David Jimenez