Avant-première (à paraître dans L’Agenda papier)

AU RYTHME DES TOUCHES

Alors que les mélodies du Concours de Genève ont résonné dans la cité de Calvin pour la première fois en 1939, cette rencontre musicale internationale ouvre les portes de sa 76e édition. La pandémie ayant bousculé l’agenda de la succession des disciplines, la composition et le piano ont finalement été élus pour 2022. Les étapes de sélection se sont déroulées au courant de l’année pour aboutir à une série d’événements en automne. Si la finale du Concours de composition aura lieu le 26 octobre, les pianistes s’affronteront pour la dernière étape le 3 novembre au Victoria Hall, accompagné·e·s de l’Orchestre de la Suisse Romande, dirigé par Maržena Diakun.

Texte et propos recueillis par Eugénie Rousak

La dernière édition du Concours de piano s’est déroulée en 2018, cette discipline a donc tout naturellement été planifiée pour cette année, gardant le rythme des quatre ans d’intervalle. Au total, plus de 180 candidat·e·s de moins de 30 ans ont envoyé leur candidature, représentant 28 pays. Quarante musicien·ne·s ont ensuite été sélectionné·e·s par le jury présidé par la pianiste Janina Fialkowska. Les membres s’étaient réunis durant quatre jours au Théâtre Les Salons pour visionner l’ensemble des vidéos et faire leur choix. Finalement, au mois de septembre, au terme du récital en ligne, neuf demi-finalistes âgé·e·s de 16 à 28 ans, Jae Sung Bae (Corée), Sergey Belyavsky (Russie), Kevin Chen (Canada), Kaoruko Igarashi (Japon), Miyu Shindo (Japon), Zijian Wei (Chine), Yonggi Woo (Corée), Adria Ye (Etats-Unis) et Vsevolod Zavidov (Russie), ont été désigné·e·s pour s’affronter à Genève au mois d’octobre. Ce format hybride a été utilisé pour la deuxième fois pour le Concours. “Bien entendu, il est toujours possible de regretter les auditions en direct, mais les enregistrements permettent de revenir en arrière et de réécouter. Par cette décision nous voulions surtout nous adapter au nouveau monde numérique d’après la pandémie. Continuer avec le récital en ligne est notre façon de pousser les jeunes musiciennes et musiciens à maîtriser de mieux en mieux les outils qu’ils vont devoir utiliser durant toute leur future carrière. Nous leur avons donné des instructions assez précises et une aide financière, mais ils devaient trouver une bonne salle avec un piano et s’entourer d’une équipe de professionnels du son pour avoir cette expérience d’enregistrement de récital professionnel de 45 minutes” explique Didier Schnorhk, secrétaire général du Concours. Le nouveau format permet également à plus d’artistes, notamment de l’Asie, de participer sans faire le déplacement.

Théo Fouchenneret, 1er Prix ex aequo 2018 ©Anne-Laure Lechat

Personnalité artistique au programme

Ouverte au public, la Demi-Finale se compose de trois étapes. Les deux premières épreuves sont assez traditionnelles avec un récital solo d’une soixantaine de minutes et une épreuve de musique de chambre d’une demi-heure. “Nous laissons carte-blanche aux candidats, le répertoire pour piano étant très riche. L’idée est de les inciter à faire preuve d’originalité en proposant un programme qui leur correspond, qui a un sens pour eux. Pour la partie de musique de chambre, le jury regarde également comment ils interagissent avec des musiciens et chanteurs inconnus qui ont leur propre vision des œuvres. Est-ce que le jeune se contente d’accompagner ou essaye d’appuyer sa position, situation qui débouchera sur une sorte de conflit ou au contraire une osmose en deux répétitions? C’est un exercice très particulier qui nécessite une grande capacité d’adaptation et une bonne qualité de l’oreille pour s’aligner, mais qui finalement sera demandé tout au long de la carrière professionnelle” détaille Didier Schnorhk.

La dernière partie est celle d’un projet personnel, grande nouveauté de cette année. Cette innovation est venue du constat qu’à la suite de la pandémie, les organisateur·trice·s de concerts donnaient surtout la priorité aux artistes établi·e·s, mais étaient prêt∙e∙s à ouvrir leurs portes aux jeunes avec un projet original et personnel. La commission artistique du Concours a donc décidé de concrétiser cette réalité par une épreuve artistique. L’objectif est de donner l’occasion aux musicien·ne·s de réfléchir à un projet, qui peut prendre n’importe quelle forme, allant d’un concert thématique à un spectacle complexe mélangeant différents arts. “Si le lauréat est vraiment motivé par son projet, indépendamment du résultat, nous allons l’aider à trouver des financements. D’ailleurs, pour les trois finalistes, nous organisons également une série d’ateliers de formation professionnelle pour discuter de la gestion de leur carrière, relations avec la presse, promotion, etc., ce qui est assez inédit pour un Concours” précise le secrétaire général.

Jury de l’année

Choisi par la commission artistique, le jury se compose personnalités diverses. Spécialisée dans le piano classique et présidente de cette année, la canadienne Janina Fialkowska travaille dans le monde des auditions depuis près de 50 ans. À ses côtés, six membres du jury. Également assez classique dans son approche, l’autrichien Till Fellner a gagné le Concours Clara Haskil à Vevey, pour aujourd’hui concilier l’enseignement et une carrière musicale. Très connu sur la scène espagnole, Josu de Solaun est une personnalité totalement atypique, qui improvise, compose et écrit de la poésie. Le Suisse Gilles Vonsattel est un ancien lauréat du Concours de Genève, qui aujourd’hui fait notamment de la musique contemporaine. Originaire du Japon, Momo Kodama se produit avec les plus grands orchestres aussi bien en Asie, qu’en Europe et aux États-Unis. Issue de l’école russe et arménienne, Marianna Shirinyan travaille régulièrement dans les pays nordiques, où elle est notamment directrice artistique d’un festival de musique. Professeur à Paris, Florent Boffard est pianiste contemporain, très ouvert à des nouvelles expériences.

Ensemble, ils détermineront le gagnant de la 76e édition du Concours de Genève le 3 novembre prochain au Victoria Hall.

Dmitry Shishkin, 1er Prix ex aequo 2018 ©Anne-Laure Lechat

Calendrier à venir du Concours de Genève

Portrait des finalistes
23 octobre à 17h, Conservatoire de Genève
Finale de composition
26 octobre à 19h, Conservatoire de Genève
Demi-finale de piano – récital solo
27 et 28 octobre dès 14h30, Conservatoire de Genève
Demi-finale de piano – musique de chambre
29 et 30 octobre dès 14h30, Conservatoire de Genève
Masterclass publique par Janina Fialkowska
31 octobre et 1er novembre à 14h et 16h, Bâtiment Duffour (HEM)
Finale de piano
3 novembre à 19h, Victoria Hall
Concert des lauréats
5 novembre 2022 à 18h30, Conservatoire de Genève
Récital des lauréats
6 novembre à 17h30, Temple de Jussy

Photo de haut de page : Chloe Ji-Yeong Mun, 1er Prix 2014 ©Anne-Laure Lechat

Joël Maillard, les trucs qui lui font peur et les choses dont il a marre

Après s’être frotté au théâtre à travers ses propres textes et mises en scène pendant de nombreuses années, Joël Maillard se lance dans le stand-up. Il ne sait pas comment faire, mais il est en quête perpétuelle de dilettantisme. Résilience mon cul, c’est l’artiste lui-même, face à nous, qui nous parle de ses peurs et ses doutes quant à la capacité de résilience d’une société qui fonce droit dans le mur. Des blagues, il y en a, mais pas tout le temps. C’est drôle et triste, étonnant et inspirant.

Texte et propos recueillis par Jeanne Möschler

Du théâtre au stand-up

Fondateur de sa propre compagnie de théâtre SNAUT, Joël Maillard joue depuis 2012 avec différent·e·s artistes dans des pièces qu’il écrit et met en scène. Elles ne sont pas forcément interactives, mais elles “mettent le public dans la fiction” à travers le dispositif scénique et visuel, explique-t-il. L’assistance a par exemple dû s’asseoir sur scène pour former un cercle de parole, dans lequel une actrice se confiait. Une autre fois, la pièce se déroulait dans une cabine noire pour une personne, seule, qui entendait des voix préenregistrées. À travers une mise en scène où le public pouvait décider de son déroulement en appuyant sur des boutons, Joël Maillard a tenté encore une fois de trouver un autre rapport entre acteur·ice·s et spectateur·ice·s, mais il conclut finalement que “c’était raté”. Il décide, en 2017, de revenir à des formes de théâtre plus traditionnelles, avec les gradins d’un côté, et la scène de l’autre. Et cette fois sous la forme d’un stand-up.

Mettre les pieds dans le plat

Le spectacle est presque dénué de mise en scène, juste un micro, un synthétiseur et Joël Maillard lui- même qui nous parle de ses obsessions et ses craintes. Il choisit d’en exagérer certaines tandis qu’il en atténue d’autres. Les thèmes sont inspirés de sa vie et de la vie, ce qu’il dit peut être vrai ou faux, il nous le dit mais on n’est pas obligé de le croire. Les sujets dont il parle sont “touchy” car “c’est important d’essayer de mettre les pieds dans le plat”. Ainsi, le comédien commence en s’interrogeant sur le bien-être et les moyens surabondants pour tenter de le trouver dans notre société. Les rayons des librairies débordent d’ouvrages sur le développement personnel, les sites regorgent d’articles sur la pleine conscience et on trouve des coachs et tutoriels à pléthore. “C’est pas que ça fait pas sens”, estime l’artiste, “(…) mais quand on en est à faire ça, c’est comme si tous les autres problèmes étaient résolus et qu’on en est déjà au stade où on a plus qu’à mieux respirer. Il admet avoir tenté un cours de méditation et a été effrayé par l’image de notre société qui recherche le bonheur individuel: “C’était chiant et j’eu l’impression d’être au McDo: on donne aux clients la même recette avec des phrases toutes faites et des citations du Dalaï Lama hors-contexte. Ca faisait aucun sens.”

Une société problématique, capable de résilience?

Ce business du bien-être entre au final dans la structure du capitalisme qui nous force à adopter un regard très individuel sur le monde. Joël Maillard en parle, du capitalisme. Il le chante même, accompagné de son synthétiseur, “j’encule pas le capitalisme (..) j’encule le capitalisme”. Il l’encule ou pas? Non, car en plus de ne pas savoir où est son trou, l’artiste est dépendant des contribuables: “il y a des gens qui ont assez de thune pour que ça ruissèle à quelque chose d’aussi inutile que l’art”. Se déclarer anticapitaliste est paradoxal du moment où la personne qui le prononce reçoit un salaire, estime l’artiste – qui ne voit idéologiquement pas d’alternative réaliste et viable à long terme à ce système. D’ailleurs vivre et mourir, c’est un autre sujet qui préoccupe Joël Maillard: “La mort, j’y pense beaucoup. Parmi les choses qui me retiennent dans la vie, il y a le fait que je suis incapable d’écrire ma lettre d’adieu.” Ce passage a finalement été coupé du stand-up afin de garder un équilibre entre les moments drôles et ceux sans blague. Ce que notre interlocuteur préfèrerait serait de se réveiller une semaine “tous les dix ans ou tous les siècles”, pour voir comment la société va se redresser après la catastrophe. Il pense que l’espèce humaine ne disparaitra pas à cause du réchauffement climatique: c’est trop grand, il y a des gens avec beaucoup d’argent qui pourront s’en tirer. Mais quelle humanité va advenir après l’effondrement? La société devra faire preuve de beaucoup de résilience pour se reconstruire sur ses débris. Et c’est une question de comportement, de décision, pas de foi: notre interlocuteur à la tignasse bouclée s’est converti à l’athéisme. “J’ai de la peine à respecter un Dieu qui veut brûler les homosexuels”, témoigne-t-il. Et cela ressort explicitement dans son spectacle quand il a des flatulences et que c’est Dieu qui s’exprime sous la forme d’un pet, et “ce n’est pas un blasphème parce que je n’y crois pas”. Et ce Dieu, c’est le Dieu de tout le monde, des chrétien·ne·s comme des musulman·e·s ou des autres religions.

Photo: Dorotheģe Theģbert-Filliger

Dire tout haut ce qui se pense tout bas

Cependant, Joël Maillard reconnaît qu’il est parfois délicat de parler de certains sujets. S’il y en a qu’il évite car sa pensée n’est pas assez arrêtée, il estime qu’il faudrait continuer à tout dire, tout en admettant qu’il y a des thèmes délicats: “une même phrase dite par une personne d’un certain âge, d’un certain genre, ça fait des effets très différents selon à qui elle est adressée”. Il exemplifie cette situation à travers une scène imagée de son stand-up, dans laquelle il s’adresse à un homme du public en rêvant qu’ils aient un coup de foudre amical et qu’ils iraient se poser dans un bar, boire, discuter et refaire le monde. “Dire ça à une femme, je pourrais mais j’ose pas”, admet-il tristement. Car en plus de sa position dominante d’artiste (qui coche toutes les cases de l’homme blanc cis hétéro) avec le micro et totalement libre d’expression, il y a forcément un arrière-plan culturel qui fait qu’on le soupçonnerait “de malveillance”. Mais ce qui ne se dit pas il le prononce tout haut, alors à la fin, il ajoute: “qu’est-ce que ça aurait fait si j’avais dit ça à une femme?”

Où le retrouver ?

En ce moment même au Théâtre St-Gervais à Genève

Joël Maillard reprend également cet automne le spectacle Quitter la Terre, à voir au Casino-Théâtre de Rolle les 14 et 15 octobre, et au Théâtre Benno Besson à Yverdon le 9 décembre. On peut également découvrir un week-end de carte blanche autour de son travail, au Pommier, à Neuchâtel, du 10 au 13 novembre.

Résilience mon cul

Dates à venir:

Puis en 2023:

  • Bibliothèque de Vevey
  • Nuithonie, Fribourg
  • Théâtre ABC, La Chaux-de-Fonds
  • Usine à Gaz, Nyon
  • Théâtre du Jura, Delémont

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Photo de haut de page: David Gagnebin-de Bons