Le Presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat. Un constat intrigant, un titre un peu plus long que tacitement réglementaire.
La pièce, chorégraphiée par Maurice Béjart, est un hommage aux victimes du sida, une œuvre à la mémoire de Jorge Donne, ami et danseur de sa troupe décédé de la maladie deux ans plus tôt, et à la mémoire de Freddie Mercury. Créée pour la première fois en 1996 à la salle Métropole à Lausanne, la pièce revit sur la scène du Rosey Concert Hall de Rolle en ces 9 et 10 mai 2022.
J’ai eu la chance de pouvoir me glisser dans le public et de témoigner de toute la beauté émanant de cette œuvre et des artistes du Béjart Ballet.
Texte de Katia Meylan
Photo d’en-tête: Ilia Chkolnik
Pourquoi faire cohabiter les musiques de Mozart avec celles de Queen? Parce que cela lui semblait logique, disait Maurice Béjart à la caméra de France 3 en 1997. « De temps en temps dans ce no man’s land où nous irons tous un jour, Freddie Mercury, j’en suis sûr, se met au piano avec Mozart », avait-il écrit au sujet de sa pièce. L’image est forte.
Fortes aussi sont celles qui se succèdent dans les tableaux d’ensemble, de groupe et de soli, et qui restent imprégnées dans l’esprit une fois le spectacle terminé.
Je suis en suspens devant Radio Gaga, à suivre du regard ces hommes qui arrivent l’un après l’autre, comme écoulés d’un réservoir infini de danseurs, pour remplir un espace restreint… jusqu’à ce que l’un d’eux, enfin, passe sa route et laisse sa créativité s’exprimer hors du cadre. J’admire le solo sur la Musique Maçonnique de Mozart – créé par l’actuel directeur artistique du Ballet Béjart Gil Roman, qui a transmis ici son rôle au jeune Dorian Browne – dansé devant des radiographies géantes.
Je retiendrai longtemps aussi le délicat tableau inspiré du morceau A winter’s tale. Le duo central semblait pour un instant seul au monde, complice dans sa bulle de plumes, puis rattrapé par les incertitudes de la vie. Les deux interprètes, Mattia Galiotto et Chiara Poscia, y étaient bouleversants.
On aura aussi capté d’autres regards plus espiègles. Témoin d’un sourire mutin, je suis tentée de m’assurer de sa sincérité… Je regarde plus loin et mes yeux tombent sur un binôme à la connexion plus sérieuse. Oui! Ce sourire intercepté n’était donc pas chorégraphié, mais né d’une émotion insufflée par le mouvement, par la musique ou, là aussi, par une complicité.
L’expression des individualités est présente dans les divers aspects de la pièce, comme souvent – toujours? – chez Béjart. Danseurs et danseuses sont ici habillé∙e∙s ou dénudé∙e∙s par Versace, dont les costumes jouent sur cette diversité au sein du groupe. Les uniformes sportifs dans Show must go on deviennent des « pluriformes », une rayure ou une longueur faisant toujours la différence. Un autre moyen d’expression, par moments surprenant et par moment évident, se révélait: la voix. C’est ainsi que les « OH YES! », libérateurs lancés au public par différents personnages deviennent l’un des éléments du fil rouge.

Salut de la troupe, 9 mai 2022 au Rosey Concert Hall
avec Gil Roman au premier plan.
Photo: Kiyonori Hasegawa
Entre vie et mort, joie et peine, la pièce crie son envie d’amour et de liberté, et inspire à l’expression de soi et à l’échange.
***
La pièce se rejoue ce soir au Rosey Concert Hall, mais la représentation affiche complet depuis longtemps. Il faudra donc retrouver ces sublimes artistes ailleurs…
Le Presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat
Les 9 et 10 mai 2022
Rosey Concert Hall, Rolle
roseyconcerthall.ch
Les prochaines dates du Béjart Ballet: bejart.ch